Le géant chinois Alibaba va s’installer à Liège: est-ce vraiment une bonne nouvelle?
Alibaba, le géant chinois du commerce en ligne, va installer son premier centre logistique à Liège Airport, avec des centaines d’emploi à la clé. Mais à Liège, certaines voix dissonantes se font entendre. Ce serait même «un jour noir pour l’économie, le climat et le sommeil des Liégeois», selon François Schreuer.
- Publié le 13-11-2018 à 18h05
Le bourgmestre de Liège Willy Demeyer (PS), les ministres wallons Pierre-Yves Jeholet (MR) et Willy Borsus (MR), le Premier ministre Charles Michel (MR) lui-même: il ne fallait pas chercher beaucoup pour trouver des déclarations enthousiastes, ce mardi matin, après la confirmation de l’installation à côté du site de Liège Airport du premier hub européen du géant chinois du commerce en ligne Alibaba.
Charles Michel très heureux de l'arrivée d'Alibaba en Belgique
La construction d’une plateforme logistique de 38 hectares et des centaines, voire des milliers d’emplois à la clé, le développement de Liège Airport et de la position de la Wallonie sur la carte du monde de la logistique: ce sont autant de raison qui ont provoqué un concert de réactions euphoriques.
Quelques opinions discordantes se font cependant entendre, notamment du côté de François Schreuer, conseiller communal Vega à Liège, qui évoque «un jour noir pour l'économie européenne, pour le climat et pour le sommeil des Liégeois». Nous avons également recueilli l'opinion de Jonathan Piron, chercheur au sein d'Etopia, centre d'animation et de recherche en écologie politique (proche d'Écolo, sans lien direct pour autant).
Un non-sens environnemental?
«Il y a une position contradictoire du monde politique, qui d'un côté affiche des ambitions environnementales, en signant les accords de Paris par exemple, et de l'autre se félicite de cette nouvelle qui va développer le transport aérien, avec ce que cela suppose comme émissions de CO2, etc.», observe Jonathan Piron.
François Schreuer redoute de voir implanté à Bierset ce gigantesque entrepôt. «Dans un contexte où l'artificialisation des sols se poursuit à un rythme soutenu en Wallonie – ce qui constitue l'un des grands enjeux climatiques et, plus largement, environnemental –, est-il possible de mettre des limites à ce gaspillage foncier?», s'interroge-t-il.
Par ailleurs, ce dernier a régulièrement pointé les nuisances sonores engendrées par l'aéroport sur l'agglomération liégeoise, ces derniers mois. Il redoute par conséquent un accroissement de la problématique. «Le sommeil de dizaines de milliers de personnes est sacrifié, sans même un débat, sur l'autel d'un développement économique illusoire», dénonce-t-il.
«Tant sur le plan économique que celui de l'aménagement du territoire, il s'agit vraiment d'une vision du passé, soutient Jonathan Piron. On parle d'un développement industriel en grands zonings, en bordure d'autoroute, avec des emplois facilement délocalisables.» Le taux de chômage est ce qu'il est, en région liégeoise. Mais la pérennisation des emplois, en l'occurrence, doit être questionnée, selon le chercheur qui s'interroge: «Quelle est la certitude que ne se retrouvera pas dans une décennie avec une délocalisation massive?»
Un modèle économique qui inquiète
C'est le modèle économique des plateformes de vente en ligne qui pose question. «Ce modèle est celui d'une concurrence déloyale entre travailleurs du monde, d'un dumping mortifère pour les humains, pour l'écosystème et pour l'économie européenne», dénonce François Schreuer. «On parle de produits importés massivement de l'étranger, à des prix défiant toute concurrence et dont la qualité est souvent discutable. D'après ce que je lis et entends, c'est l'environnement fiscal favorable qui attire Alibaba. En tout cas, plus que les préoccupations pour un environnement durable», poursuit Jonathan Piron.
Le secteur logistique, rappelle François Schreuer, se prête bien à l’automatisation, voire la robotisation des tâches. Quelles sont dès lors les garanties à long terme pour l’emploi? Jonathan Piron parle lui aussi de vision court-termiste, laissant apparaître une autre contradiction du monde politique, qui d’un côté entend promouvoir le commerce local, les circuits courts et l’économie circulaire et de l’autre, accueille à bras ouverts l’incarnation même de l’e-commerce mondialisé.
Paradoxalement, l'arrivée d'Alibaba pourrait-elle nuire à l'économie liégeoise, wallonne, belge? Jonathan Piron rappelle à titre d'exemple à quel point Amazon a fait souffrir le secteur des librairies. L'existence de plateformes d'e-commerce profitables à la production locale (et non-délocalisable) serait par contre souhaitable. «Le lancement d'une telle infrastructure coûte entre 100 000 et 1 million d'euros». Un investissement qui, selon lui, justifierait largement un coup de pouce financier de la Région wallonne, «très en retard dans le domaine de l'e-commerce».